Présenter Benoît Sokal ? Un peu comme expliquer qui est Miyamoto à un joueur de Mario Kart. C’est presque insultant tant le monsieur a laissé son empreinte — ou plutôt ses croquis — sur l’univers du jeu d’aventure. Et pourtant, s’il est universellement reconnu pour Syberia, peu se souviennent que tout a commencé par un hydravion rouillé, une légende ornithologique… et un journaliste un peu trop curieux.
Sorti pour la première fois en 1999, Amerzone : The Explorer’s Legacy est le tout premier jeu vidéo écrit et dirigé par Sokal, alors jeune transfuge de la bande dessinée. C’était une époque où les point’n click commençaient déjà à sentir la naphtaline, et pourtant, ce premier essai portait une promesse folle : celle d’un univers poétique, mystérieux, avec un sens du détail digne d’un carnet de terrain naturaliste.
Mais soyons francs : à l’époque, l’Amerzone avait du charme, oui, mais aussi les maladresses attendues d’une œuvre de jeunesse. Interface capricieuse, énigmes parfois trop simples ou trop floues, rythme étouffé… Autant de grains de sable dans un voyage qui méritait mieux.
Avec ce remake complet signé Microids, l’ambition est claire : faire redécouvrir Amerzone dans une version qui honore l’intention originale tout en répondant aux attentes modernes. Et spoiler : le pari est (presque) réussi.
Les décors ont été soigneusement redessinés, les textures peaufinées, et l’ambiance graphique respecte avec brio la patte de Sokal. On a l’impression de feuilleter un carnet de voyage interactif, et cette sensation est renforcée par un travail sonore discret mais raffiné.
Côté gameplay, on respire aussi un peu mieux. Deux niveaux de difficulté, un système d’indices progressifs (fini les gros murs de texte incompréhensibles), et des énigmes revisitées pour mieux s’enchaîner. Rien de révolutionnaire, mais une belle preuve de respect envers les joueurs.
Alors bien sûr, on ne va pas vous mentir : le jeu reste figé dans une certaine temporalité narrative. Les rebondissements sont rares, les dialogues parfois un peu plats, et les puzzles n’atteignent jamais les sommets de complexité d’un Myst. Mais ce serait rater le propos. Amerzone, c’est moins une aventure trépidante qu’un pèlerinage intimiste, une plongée dans les regrets d’un explorateur et les merveilles d’un monde oublié.
Sokal nous a quittés en 2021, mais ce remake prouve que ses mondes n’ont pas fini de nous parler. Amerzone – The Explorer’s Legacy, c’est un peu comme relire le premier roman d’un auteur devenu culte : on y sent les tâtonnements, mais aussi le feu sacré. Et grâce à ce lifting soigné, ce feu peut briller à nouveau — et peut-être toucher une nouvelle génération de rêveurs.
L’histoire d’Amerzone : Le Testament de l’Explorateur ne cherche pas à réinventer le fil narratif de l’aventure graphique. Non, ici, on part sur un classique des classiques : un journaliste muet, un vieux scientifique mourant et une dernière mission improbable – le tout dans un phare battu par les vents, bien sûr. En deux phrases mal articulées et une poignée de souffle, le professeur nous confie son ultime souhait : ramener un œuf d’oiseau mythique en Amerzone, une contrée imaginaire d’Amérique du Sud, vaguement située entre l’Amazonie et une peinture de Rousseau.
Et parce qu’on est un héros de point’n click, on accepte sans poser de questions, sans même prendre le temps de vérifier si on a du Wi-Fi ou une assurance-vie. On grimpe dans un hydravion prêt à rendre l’âme, direction l’inconnu.
Amerzone, c’est surtout un voyage dans un monde en train de disparaître. La modernité y a tout saccagé : villages à moitié engloutis par la végétation, temples éventrés par l’oubli, et quelques reliques d’un passé colonial et autoritaire que l’on devine derrière chaque statue brisée. Ce n’est pas un récit trépidant, non. C’est une aventure contemplative, un peu lente, souvent silencieuse, mais qui gagne en étrangeté et en charme à mesure qu’on s’enfonce dans la jungle.
Et comme Sokal ne faisait jamais les choses à moitié, il a peuplé l’Amerzone d’un bestiaire fantastique sorti d’un rêve de naturaliste sous LSD : girafes de rivière, tapirs-lézards, oiseaux monumentaux… Le tout servi sans ironie, avec un sérieux presque ethnographique. C’est beau, étrange, et ça fonctionne.
Mais attention : ce n’est pas le sommet scénaristique de Benoît Sokal. L’histoire est simple, parfois même trop linéaire, et manque de rebondissements marquants. On sent que c’était une première œuvre, un galop d’essai plus qu’une fresque mûrie. Les dialogues sont rares, les personnages secondaires quasi absents, et le joueur se retrouve souvent seul face à des ruines qui ne parlent que par fragments.
Et pourtant… ce silence, cette solitude, cette lente dérive dans un monde mort… c’est aussi ce qui rend Amerzone si singulier. C’est une aventure sans punchlines ni explosions, où le seul enjeu est de redonner à un peuple oublié une trace de sa grandeur passée.
Il y a des jeux qu’on ressuscite pour des raisons marketing, et puis il y a ceux qu’on restaure avec soin, amour et un brin de nostalgie. Amerzone appartient clairement à la seconde catégorie. Ce remake ne se contente pas de brosser la jaquette : il retouche en profondeur les mécanismes d’un point’n click un peu rouillé, sans jamais trahir l’âme originale de l’œuvre de Sokal.
Les ajouts sont subtils mais efficaces. Les énigmes sont revisitées, les environnements densifiés, la navigation clarifiée sans que cela devienne un guide touristique balisé. On sent que les développeurs ont voulu rendre hommage à l’auteur et non simplement recycler une licence. Résultat : une aventure plus longue, plus agréable, mais toujours accessible – même les plus frileux face au genre n’auront pas de quoi paniquer, tant le système d’indices est bien pensé et intégré avec finesse via le journal du personnage.
Graphiquement, l’Amerzone n’a jamais été aussi belle. Chaque décor a été retravaillé, chaque scène bénéficie d’un nouvel éclat, porté par un sound design immersif qui fait vibrer la jungle et les ruines comme jamais auparavant. Le système de déplacement par points fixes reste fidèle au gameplay original, ce qui plaira aux puristes, mais bénéficie d’une interface modernisée qui fluidifie l’expérience.
Ce remake ne révolutionne pas le genre, c’est vrai. Il n’atteint pas la complexité ou la charge émotionnelle d’un Syberia, ni la liberté d’exploration des point’n click modernes. Mais il parvient à sublimer un jeu qui, en 1999, était plus une promesse qu’un chef-d’œuvre. Aujourd’hui, cette promesse est tenue.
Il n'y a pas de commentaires pour le moment. Soyez le premier à participer !
Un remake de l'amerzone respectueux, intelligent et visuellement superbe, qui permet de redécouvrir l’origine d’un grand nom du jeu d’aventure. Ce n’est pas le plus fort, ni le plus marquant des récits de Sokal, mais c’est sans doute le plus pur dans son intention. Et ça, en 2024, ça vaut plus qu’un simple voyage en hydravion.
Yakudark