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Il y a de cela une dizaine de jours, on vous avait annoncé sur notre page Facebook que nous allions avoir la chance d’interviewer Alexandre Remy, directeur de la marque Rainbow Six, pour le questionner au sujet de Rainbow Six Siege. Nous vous avions alors demandé quelles questions vous auriez souhaité lui poser, et on a essayé d’en garder le plus possible. Aujourd’hui, notre directeur de SpiritGamer, Jonathan, alias Devil26100, a pu donc réaliser l’interview au téléphone. 

Avant de vous dévoiler l’interview, on tenait à remercier grandement Alexandre Remy pour le temps qu’il nous a accordé, et à Pascal Lecointe, attaché de presse d’Ubisoft France, qui nous a permis cette interview. Sans plus attendre, la voici :


 « Il y a un an on a déclaré vouloir pousser le jeu à 100 agents [cf notre article de septembre dernier]. Aujourd’hui on a passé à peu près la trentaine. Au rythme de release de ces agents, c’est à dire 8 par an, ça nous amène à peu près à l’année 10. En tout cas on a une vision pour ce jeu qui est encore valide aujourd’hui pour les 7 prochaines années. »

« Oui absolument. Le chiffre de 100 il n’est pas pris au hasard, il a effectivement une dimension un peu symbolique, là les 100 ça fait 3 chiffres, mais c’est plus que ça en fait. D’un point de vu design, quand tu arrives à 50 agents en attaque et 50 agents en défense, c’est le moment où tu as suffisamment de choix dans chacune des « grandes classes » d’agents et des grands rôles d’agents pour créer une vraie dynamique et une vraie synergie.

C’est à dire que pour chaque rôle, on a suffisamment de choix et d’alternatives, et on est assez certain que dans un jeu qui met en avant comme ça ces personnages, c’est hyper important que chacun d’entre eux soit un vrai choix de play-style et qu’il y ait un certain nombre d’alternative, si jamais ce choix est pris par quelqu’un d’autre. Donc à 100, 50 et 50, on arrive à une maturité où on a suffisamment de volume d’agents pour offrir 3 ou 4 choix pour chacun des grands rôles. »

 « Pour les fans de Rainbow, et je parle du livre, c’est la fantaisie originale. La fantaisie originale c’est de dire « Rainbow c’est une unité qui va chercher les meilleurs éléments de tous les pays du monde ». Sur ce qu’on a nous transcrit dans le jeu, c’est exactement cette fantaisie où finalement j’ai accès à un maximum de pays. A la question « est-ce que on souhaite faire tous les pays? » si c’est possible oui. Aucune limitation à ce niveau là, y’a pas de pays qu’on ne veut pas faire, pas d’agents ou de groupes d’intervention qu’on ne veut pas faire, ils sont tous valide. Après, c’est une question de choix, on a 8 agents par an et généralement on essaie de faire à peu près 4 pays dans l’année avec notre principe de Saison, et du coup on doit choisir.

Et pour expliquer comment on raisonne derrière ce choix, il y a plusieurs points : il y’a des raisons « joueurs », c’est à dire qu’il y a des joueurs dans des pays qui ne sont pas représentés, et ça, ça nous intéresse d’aller chercher cette résonance auprès de ces pays. Ensuite il y a des choix « fantaisistes », c’est à dire des unités ou des pays qui sont vus historiquement avec des groupes d’interventions extrêmement connus et reconnus mondialement, comme le GIGN ou le SAS par exemple, et ça, on aime bien aller chercher ces nouvelles unités que les gens connaissent et qui résonnent bien avec notre fantaisie.

Enfin, on a une destination : une opération c’est effectivement une unité de personnages mais c’est aussi une map, avec laquelle on t’emmène voyager quelque part, et c’est intéressant d’aller chercher des destinations qui peuvent être plus exotiques parce qu’elles vont nous permettre aussi, à nous les développeurs, et aux joueurs d’avoir un changement. La raison pour laquelle dans l’année qui vient, l’Année 3, on fini avec le Maroc, c’est notamment parce que ça nous permet d’aller dans une destination que l’on ne ferait pas parce qu’il n’y aurait pas forcément d’unité d’élite par exemple, mais qui serait une destination vraiment chouette à aller visiter.  »

« Je pense qu’on va pas se fixer de limites… »

« Aujourd’hui on ne l’a jamais fait mais on s’est souvent posé la question, est-ce qu’on aimerait avoir par exemple des personnages, des agents, qui peut-être sont des années 60 ou même de la Seconde Guerre Mondiale par exemple. On commence à avoir un armement que je qualifierai de contemporain et moderne, qui est quasiment au même niveau technologique, ou pas loin, que les armes actuelles, alors que les technologies de la Première Guerre Mondiale sont d’une génération beaucoup plus âgée, ça ne rentrerait pas, ça ferait trop de contraintes de gameplay.  »

« Ah oui oui, le Vietnam ça pourrait rentrer, même la Seconde Guerre Mondiale ça peut absolument rentrer. Et effectivement pourquoi pas des choses très légèrement « futuristes ». Il y a des technologies qui sont en recherche et en développement par les militaires ou autre, et si ça peut nous servir pour un gadget ou une capacité on n’a aucune raison de ne pas le faire. On s’autorise quand même « une encoche à la réalité » assez forte. Un mec qui disparaît devant les caméras et les drones comme Vigil c’est futuriste au mieux, voire même purement fantastique. Donc tout ça, si on se dit est-ce que ça rentre bien dans la fantaisie, c’est-à-dire l’univers actuel, qui reste contemporain et moderne, alors un peu de latitude, oui, c’est sûr.  »

« Là tout de suite je dirais non. Je pense que ça avait été mentionné dans le temps, mais par rapport au level design des maps qu’on a aujourd’hui, qui sont quand même extrêmement en indoor, je pense que le jetpack ne sera pas très utile finalement, donc je ne pense pas que ce soit quelque chose vers lequel on se dirigera. »

 « Oui bien sûr, philosophiquement, pour chacun des personnages, on ne veut créer aucun orphelin. Tatchanka c’est un orphelin, vraiment, il faut le dire. Il bénéficie d’un amour communautaire qui est au delà de toute norme mais au point de vue design, et on le voit dans le pick rate, Tatchanka c’est l’agent le moins pick pour toutes les bonnes raisons. Ce n’est pas un agent au point de vue design qui est aujourd’hui utile.

On veut éviter absolument les orphelins à la création, aujourd’hui on a quelques uns à prendre et à retravailler, le cas Tatchanka est un peu spécifique : c’est que les fondamentaux de son habileté et de son gadget, et de l’agent sont assez cassés. Donc c’est un chantier assez important, je pense qu’un jour on le mettra sur la table d’opération pour en refaire une version updatée vraiment fondamentalement et d’ailleurs on lui avait déjà fait un fix avec plus de protection au niveau de sa tourelle, mais on savait que c’était un palliatif et ça ne l’a pas sauvé. C’est un agent qui a besoin de changements fondamentaux. Les agents aujourd’hui qui ont les plus grandes faiblesses comme Tatchanka sont souvent les agents originaux, parce que ce sont ceux avec qui on a commencé, avec un savoir théorique mais pas pratique.

On a pu faire des erreurs mais on commence aujourd’hui à avoir une maîtrise un peu plus importante en terme de design, parce que le jeu est maintenant joué par des millions de joueurs depuis deux ans, donc on voit comment ils jouent, on voit comment le jeu évolue, donc il y aura moins d’orphelins qui seront créés et moins d’erreurs. Maintenant, comme je te disais, il y en a quand même un certain nombre qu’il va falloir mettre sur la table d’opération. »

 « La réponse courte c’est non, il n’y aura pas d’autres modes de jeu. Pourquoi ? Parce que Rainbow Six Siege est en soit un giga mode de jeu. Les modalités qu’on a mis en place, à savoir attaque, défense, un objectif, team deathmatch…, tout ça en fait c’est ce qui fait l’unicité de ce à quoi tu joues.

La destruction aussi évidemment… Des modes de jeux y’en aura en prototypes à tester mais les modes de jeux très différents qui viennent à l’esprit sont trop radicalement différents de l’expérience de Six pour y être intégré, car on n’en reconnaîtrait plus le jeu et qu’il ne porterait plus son identité. »

« Alors là c’est encore très différent. La raison pour laquelle on fait Outbreak c’est parce que c’est du coop et ce n’est pas un mode mais un événement. Un mode a pour objectif d’être introduit et de rester, alors qu’un événement par nature c’est temporaire donc il disparaît. Et c’est donc quelque chose auquel les gens participent pendant une période de temps mais ce n’est pas un mode de jeu, on n’aurait jamais fait un zombie mode permanent, parce que ce n’est pas le jeu.

C’est une expérience totalement limitée, et avec ça en tête tu peux t’autoriser beaucoup plus de trucs. Avec un événement on a le droit d’être disruptif, on a le droit de s’ouvrir des possibilités que normalement on ne s’autorise pas, on a le droit de mettre des zombies dans Clancy’s parce que ça disparaît. Ce changement de nature entre Outbreak et un game mode c’est vachement important, et c’est ça la clé. »

« Il y a deux éléments de réponses que je vais te donner. Le premier c’est, est-ce qu’on refera des événements comme Outbreak ? On verra déjà comment ça se passe avec celui-là ensuite on prendra les décisions. On a voulu faire plaisir et on s’est fait plaisir en le faisant, ça a été un événement dans le jeu vidéo en terme de générosité de contenu vu que l’événement est accessible à tous les joueurs sans contrainte et pas payant et on a été hyper généreux.

Demain effectivement on verra comment aborder les choses en fonction de comment ça s’est passé, de comment il va être reçu. Cette thématique peut être pour certains un peu polarisante, donc on prendra en compte tous les retours une fois l’événement terminé. Après en ce qui concerne la disruption des canons Clancy’s ou Rainbow Six, ça ne va pas nous arrêter, ça ne nous arrêtera pas demain, y’a rien d’absolument canonique. Au contraire, je suis plutôt assez satisfait d’être capable d’injecter une dose de disruption dans un univers à partir du moment où on est fidèle à certaines valeurs. Et je pense que des valeurs de tactiques et de teamplay en particulier sur un Rainbow c’est vachement important.

C’est marrant, au premier E3 qu’on avait fait, on avait eu la chance de de rencontrer le premier producteur de Rainbow Six qui était donc un des fondateurs du studio de RedStorm, il avait joué à notre jeu, et nous avait dit qu’il était beaucoup plus jeu à un joueur ou coop mais nettement moins multi, mais néanmoins, il nous avait vachement débriefé sur le sentiment qu’il avait en multijoueur dans notre jeu, de retrouver les mêmes éléments de tension, de tactique, de faire super gaffe à ce que tu veux, qu’il adorait à l’époque dans le 1er Rainbow avec le multijoueur de Siege. Donc je pense qu’il y a moyen d’être disruptif tout en étant fidèles à certains principes. »

« L’élément fondamental dans ta question c’est qu’effectivement, l’année qui vient de se passer a été une année vachement dédiée à la santé du jeu : changer les serveurs, le matchmaking… On a fait toute une série de mesures hyper importantes, on n’est pas loin de la chirurgie à cœur ouvert alors qu’on est avec un patient qui n’est même pas endormi, et ça va continuer. Maintenant qu’on a notre triple pontage qui est terminé, on est capable d’avancer avec plus de sérénité.

Tout ce que tu mentionnes, qui sont une sorte de toxicité dans le jeu, maintenant que les fondamentaux santé, c’est à dire architecture online du jeu, qualité de service, connexion, matchmaking, etc, sont en nettement meilleure situation, ce sont des chantiers auxquels on peut s’attaquer. Donc oui, on va regarder la toxicité, comme le team kill, oui on va le regarder, on va regarder le dropshooting qui est un des glitchs qui est exploité et qui est assez pénible en expérience de jeu, donc tu devrais voir au cours de l’Année 3 une certaine forme de jeu qui va commencer à maturer et qui va en conséquence devenir plus confortable sur tous ces micro-éléments de friction que tu as dans ton expérience journalière.

C’est vraiment l’objectif engagé cette année : on s’est dit « ok, comme on fait bien maturer le jeu dans sa qualité de service, faire attention à la toxicité, faire attention aux glitchs, commencer à pousser les agents et les maps vers des territoires qu’on explorait peut-être un petit peu moins », je pense qu’on arrive à une plus grande maîtrise de nos systèmes, de nos connaissances du jeu, ce qui fait qu’on va arriver je pense sur une très très belle Année 3. »

« Et bien merci. Ça a été une année qui a été parfois difficile pour les joueurs comme pour nous tu vois. La Saison ou l’opération Health ça n’a pas été de gaieté de cœur qu’on l’a fait, on est content du résultat à l’évidence, mais pour tout le monde ça a été difficile à vivre… »

 « Les maps, c’est un sujet qui nous amène depuis un sacré moment à beaucoup réfléchir à plusieurs égards. On commence maintenant à avoir un groupe de maps assez important, et les maps étant, avec leur éléments de destruction, hyper riche, pour pas dire parfois complexes, c’est aujourd’hui un élément d’apprentissage du jeu qui est le plus difficile à gérer. Je pense qu’avec un agent en général t’arrive quand même à te retrouver, on est en FPS, n’importe qui qui a déjà joué à un shooter arrive à faire facilement ses premiers pas, mais les maps, et là je pense que Rainbow est particulièrement disruptif par rapport aux autres shooters avec la destruction, ça change toute tes habitudes, parce qu’il n’y a pas un apprentissage des lignes de feu statiques, car à cause de la destruction, il est constamment challengé…

Partant de ça, effectivement, nous s’est dit qu’il faut qu’on approche l’apprentissage des maps de façon un peu différente, on réfléchit à des solutions qui pourraient être des playlists dans lesquelles il y a un peu moins de map, on a commencé un petit peu ce mouvement là, par contre, pour le moment en tout cas, le choix des maps par les joueurs, ce n’est pas un dilemme que l’on s’est posé. Mais effectivement, faire en sorte qu’il y ait des playlists avec moins de map, notamment pour favoriser l’apprentissage de celles-ci, c’est à dire construire une habitude, c’est quelque chose qu’on souhaite mettre en place au cours de l’année. »

 « C’est assez lié au point que je disais avant. On est assez conscient effectivement maintenant du volume de map et de leur profondeur qu’il y a dans le jeu, donc on doit rentrer on va dire dans une opération, afin de créer une gestion de ces maps. Comment faire en sorte que dans un temps donné on n’ait pas constamment 20 maps qui soient en rotation mais qu’on soit effectivement dans une gestion un peu plus fine pour favoriser l’apprentissage et favoriser demain la réintroduction de ces maps là. Je m’explique, ce sera notamment un des gros changements de l’année qui arrive et des années suivantes, traditionnellement on avait sur chaque saison une nouvelle map qui était introduite avec deux agents dans une Opération, dans l’Année 3 on va commencer un travail que l’on appel des rework. Le rework c’est quoi ? On prend une map existante que vous connaissez, sur laquelle vous avez déjà joué et on va la travailler sur toute sa géométrie et son arc de façon très très importante. C’est quasiment à la fin une nouvelle map que vous aller redécouvrir. L’objectif c’est corriger des problèmes fondamentaux, changer potentiellement la fantaisie, c’est à dire s’autoriser à ce que sur certaine maps la partie se déroule soit à un autre moment de l’année, voire à un autre moment tout court [exemple Oregon et son cycle Nuit/jour]. C’est faire quelque chose qui soit extrêmement rafraîchissant. Mais l’objectif c’est quoi ? C’est du coup sortir ces maps, les retravailler complètement et ensuite les réinjecter quand elle sont complètement retravaillées. Voilà pourquoi nous avons besoin de retirer certaine maps afin de pouvoir les réinjecter plus tard, donc on a deux éléments qui faut retenir c’est 1) l’introduction de la gestion de nos maps pour faire en sorte que les playlists ne soient pas surchargées de map, donc on va introduire une rotation des maps à chaque saison. et 2) ces sont les reworks qui sont une nouveauté dans l’année qui arrive, certaine maps repartiront au garage et on les retape afin de les réintroduire après. »

« Absolument, tu as tout compris, c’est exactement ça, on va en parler pendant le Six avec une partie spécifique là dessus, on a une envie de balancer des créations pures de nouvelle map, et mettre beaucoup plus de soins sur l’existant. Si les agents ont connu souvent des changements et améliorations plus important, les maps aujourd’hui elles ont été un peu délaissées. La raison principale effectivement c’est que l’équipe tous les 3 mois elle fait une nouvelle map en lui donnant un peu plus d’oxygène. Ca permet aujourd’hui de dédier du temps et de l’amour sur les maps existantes avec des reworks qui vont les retravailler fondamentalement et de façon très importante qui permettent un meilleur flow. Vous allez voir dans l’année des maps qui vont commencer à rentrer dans une vraie petite gestion avec des évolutions un peu comme les agents. »

« Mais je t’en prie, merci à toi pour le temps que tu as passé aussi. Et avec plaisir. »

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